Avec le temps...

Napoléon à la Chardière de Chavagnes-en-Paillers

   Le passage de Napoléon à la Chardière de Chavagnes-en-Paillers.

Sa recontre avec le P. Baudouin

 

   Le passage de Napoléon à la Chardière de Chavagnes-en-Paillers ne fut pas aussi triomphale qu'on aime à le dire. L'empereur était de très mauvaise humeur en raison de son retard, et surtout le clergé vendéen lui inspirait une extrême méfiance dont le père Baudouin fit les frais: les promesses faites à
ce moment-là ne furent pas tenues et cela ne devait rien au hasard.
  La Revue du Bas-Poitou (3ème et 4ème livraisons de 1945) reproduit une conférence faite par Louis Hillériteau chez les Pères de Chavagnes. S'appuyant sur des documents de première main, tels que la relation qu'en fit Mère St-Laurent,  il met en évidence toutes les ambigüités de cette journée de dupes. Voici quelques extraits de cette conférence.

  Dans le cours de l'été de l'année 1808, Napoléon visita la Vendée. Il se plaisait à faire raconter aux vieux soldats vendéens les événements militaires dont la partie du bocage avait été le théâtre. Depuis Chantonnay jusqu'à Montaigu, les lieux rappelaient de grands et intéressants souvenirs, et
Napoléon causait familièrement avec ceux qui pouvaient satisfaire sa curiosité par le récit de faits d'armes où ils avaient pris une part plus ou moins active. La vue des "Quatre Chemins" rappela la fameuse et meurtrière bataille qui a rendu ces lieux si célèbres. C'était un point de réunion: il y avait
encore bon nombre de ceux qui avaient combattu dans cette mémorable affaire, dont Napoléon voulut avoir les détails qui pouvaient l'intéresser si vivement qu'il ne comptait pas le temps qu'il donnait à l'inspection du pays. Son passage à la Chardière avait été annoncé pour quatre ou cinq heures du
soir et à huit heures il n'y était pas encore arrivé. Le séminaire s'était rendu sur la route pour le voir. On avait dressé un arc de triomphe au pont de la Chardière avec cette inscription: "La terre se tut en sa présence".
  La nuit ayant enveloppé de ses voiles les décorations et les titres qui pouvaient flatter le conquérant que chacun souhaitait de voir, M. Baudouin fit prendre aux élèves autant de lumière que l'on put s'en procurer: tous les curieux en firent autant et du haut de la côte qui domine la Chardière, Napoléon
fut fixé par cette illumination mobile; il commanda d'arrêter sa voiture au pont; des hourras de "vivat" lui firent comprendre que c'étaient des étudiants:
- Qu'est-ce que ceci? demanda-t-il encore.
- C'est, lui répondit-on, le séminaire de la Rochelle.
- Appelez le Supérieur et le Maire.
  Le maire était un honnête paysan nommé Driot qui cumulait les fonctions de sacristain, de chantre et de tisserand. À défaut d'écharpe, on l'avait décoré de la ceinture rouge d'un des enfants de chœur; on l'avait stylé pour le cas où il aurait pu être appelé: mais le pauvre maire avait si bien bu à la santé de
l'Empereur qu'il avait oublié le cérémonial. Un officier de la garde le pressait en lui disant: " Trottez donc , Monsieur le maire, sa Majesté attend"! M. Baudouin qui sentait qu'on ne faisait pas attendre un Empereur, engagea M. Réchin, officier de santé, à remplacer le maire qui arriva plus tard.
  M. Baudouin n'était rien moins que préparé à se présenter devant celui qui faisait trembler l'Europe. Il n'avait pas pensé au compliment d'usage, pourtant il improvisa celui-ci: " J'apporte à votre Majesté les vœux et les cœurs de notre maison".
  L'Empereur demanda à M. Baudouin d'un ton de bienveillance comment il se faisait que le séminaire de la Rochelle se trouvait là.
   Après que M. Baudouin eut expliqué les causes de cet établissement, Napoléon s'informait du nombre des élèves pour les humanités et pour l'état ecclésiastique, du nombre des professeurs, et des sciences qu'ils enseignaient. Après que M. Baudouin eut satisfait aux demandes de l'Empereur, il songeait à se retirer lorsque Napoléon d'un air engageant, lui dit:
- Mais vous ne me demandez aucune grâce?
- Sire, je n'ôsais, répondit M. Baudouin.
-Osez, dit l'empereur.
- Eh bien, Sire, nous avons besoin d'un autre bâtiment pour loger plus convenablement nos élèves.
- J'accorde 100000 francs pour le faire bâtir.
   Encouragé par ce succès inespéré, M. Réchin, qui servait de truchement à M. Le Maire, représenta que le chemin qui séparait le bourg de Chavagnes de la grande route était impraticable.
- Eh bien, dit l'empereur, j'accorde 6000 pour le grand chemin.
   M. Baudouin répondit à tant de bienveillance par un cri de vive l'Empereur! qui reprit aussitôt:
- Et l'Impératrice!
   M. Baudouin s'excusa sur ce qu'il ignorait que sa Majesté fut présente; la nuit justifiait cette omission qui fut bientôt réparée. M. Baudouin entonna de nouveaux "Vivat" qui furent répétés par les élèves, et la voiture de l'Empereur partit comme un trait.
   De la Chardière à Montaigu, Napoléon réfléchit sur l'entretien qu'il avait eu avec M. Baudouin et sur les faveurs qu'il avait accordées et dont il avait regret. Rendu  à Montaigu il s'y arrêta et descendit chez M. Tortat, avocat... Alors, il fit plusieurs questions aux autorités de Montaigu sur les établissements de Chavagnes: " Ces gens-là, dit-il, n'ont donc personne pour les surveiller."
   À Nantes encore, Napoléon prit de nouvelles informations sur Chavagnes; il répéta le même propos qui fut clairement expliqué par un décret rendu peu de temps après, par lequel il ordonnait que les 100000 francs qu'il avait promis pour le Séminaire de la Rochelle seraient employés à bâtir le séminaire diocésain à Napoléon, jadis la Roche-sur-yon, actuellement Bourbon-Vendée.
   Ce décret fit une peine profonde à M. Baudouin, et lorsque les ingénieurs du département vinrent lui demander ses vues et ses pensées pour qu'ils y conformassent le plan de l'édifice, M. Baudouin répondit: " l'Empereur m'a accordé les fonds pour bâtir à Chavagnes et non à Napoléon où je ne veux pas transférer mon établissement."

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Projet de translation à Napoléon-Vendée

   Napoléon avait-il réellement promis, le soir du 8 Août, 100000 francs au Père Baudouin? L'un des meilleurs historiens de la Vendée, Émile Gabory, émet un doute, parce que, dit-il, cela paraît en contradiction avec les 150000 francs accordés le jour même pour l'installation au 1er Janvier 1810 du Séminaire  dans la ville qu'il faisait édifier au centre de la Vendée et qu'il visitait ce jour-là.
   L'Empereur avait été médiocrement satisfait de la rencontre de la Chardiére, qui ajoutait encore  à son retard. Outre des dénonciations, qui au dire de la mère Saint-Laurent, avaient été faites contre le supérieur, n'y avait-il pas contre lui, aux yeux du potentat, un assez lourd passif? L'habileté avec laquelle il avait éludé tous les serments imposés le rendait bien suspect. (1). C'est une suspicion qu'il faut voir dans les questions qui lui sont posées. "Combien avez-vous d'élèves? - D'élèves faisant leurs humanités? - D'élèves se destinant au sacerdoce? Cette maison, pense-t-il est un véritable paravent derrière lequel se cachent des réfractaires vendéens (2). Le nombre des élèves est trop élevé! D'ailleurs n'a-t-on pas dû rappeler à l'ordre Mgr Paillou lui-même 
pour avoir ordonné des sujets qui n' étaient pas en règle avec la conscription. Au milieu de ces Vendéens l'Empereur ne pouvait pourtant se permettre un éclat, mais à Montaigu, il prendra sa revanche, chez M. Tortat, quand il dira à son entourage "Il n'y a donc personne ici pour surveiller ces gens-là."
   Toute la journée, il avait dû se contenir. Au dernier moment, sa colère concentrée éclatait et son hôte faillit le payer cher. D'ailleurs, le tantôt, l'ingénieur en chef de la Vendée en avait su quelque chose!
   Et pourtant...

 

À suivre,



05/08/2012
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