Paul Fillon
Paul Fillon
Ma Vendée (1931)
Le visage de la Vendée
Les coins du sol natal sont ceux que nous aimons:
Grand chêne du talus où tombe la glandée,
Granit brodé de lierre, église lézardée,
Tour sombre où Barbe-Bleue évoquait les démons,
Bois de dune, aussi pur que le sommet des monts,
Champ où la voix du gars est traînante et scandée,
Genêts en fleurs, rempart des Géants de la Vendée,
Rocher bas et luisant, couvert de goémons,
Plage aux flots effleurés d'ailes grises et blanches,
Route d'eau scintillant sous l'arceau vert des branches,
Lande nue et déserte où se dresse un menhir.
Rivière, clair miroir d'un calme paysage,
Lieu sans histoire ou nid d'un vivant souvenir!
J'admire, cher pays, les traits de ton visage.
Sur le Mont des Alouettes
Il est seul, au sommet, comme un triste banni,
Le souvenir votif de nos luttes guerrières;
Jamais, depuis cent ans, les ailes des prières
N'ont trouvé dans les coins du choeur vide, leur nid.
Par nul geste fervent le seuil ne fut bénit.
Des reflets lumineux fleurissent sur les pierres,
Quand l'aurore et le soir aux splendides verrières
Ornent l'arceau gothique et les murs de granit.
Mais le ceintre léger de la porte ogivale
Domine le bocage immense, qui dévale,
Là-bas, parmi la verte et sombre frondaison,
On voit, dans les soirs clairs où le lointain recule,
Deux phares, les gardiens du limpide horizon;
Ils percent de leurs feux le profond crépuscule.
Sur les marais de la Sèvre
Sur le bord, un taillis de branches et de fleurs,
Les dards de sagittaire et les touffes de menthe,
Les joncs, les liserons à la houppe tremblante,
Se dressent sous le vol des insectes rôdeurs.
Dans ce mélange frais de teintes et d'odeurs,
Saules, frênes, osiers sur l'eau calme et dormante,
Font à l'étroit canots dont la marche est plus lente,
Un lumineux sillage où glissent des couleurs.
Le feuillage touffu des arbres en ogive,
Flexibles, s'enlaçant de l'une à l'autre rive,
Forme une épaisse voûte aux rameaux reflétés.
Sous cette frondaison au soleil entrr'ouverte,
Les yeux suivent, dans l'ombre où tremblent des clartés,
Les caneaux miroitants de la Venise verte.
Le loup-garou
Ses yeux verts ont des feux de sanglante émeraude.
Il surgit, au détour d'un chemin creux. Par où
Fuiront-ils, les passants craintifs? Un loup-garou?
Dans le sentier funèbre et ténébreux, il rôde.
Son regard luit; son poil se hérisse; il clabaude,
Grimpant sur le talus ou tapi dans un trou.
O femmes, fermez bien les portes au verrou:
Il fait auprès des seuils une sombre maraude.
Un sinistre aboiement au fond du bois, un bond!
La métairie a peur du fauve vagabond.
Une aïeule se signe en racontant l'histoire.
Dans l'ombre, les petits sont tristes et tremblants;
Ils n'ôsent pas dormir: la grande bête noire
Se cachera, la nuit, parmi les rideaux blancs.
Poèmes tirés du recueil intitulé "Ma Vendée" (1931)