Souvenirs d'enfance à l'Anjouinière (Chavagnes)
PARFUMS d ’ ENFANCE
Que du bonheur… je veux retenir ces quinze années passées jusqu’en 1969 dans la ferme familiale située au cœur du village.
Avec les beaux jours printaniers qui arrivent à grands pas, c’est le grand nettoyage du Printemps ; la cire d’abeille orangée étalée sur les meubles et le badigeonnage des murs en blanc étaient deux étapes incontournables à la veille de Pâques. Cette fête où je sortais mes habits tout neufs : la robe écossaise plissée, taille basse, confectionnée par maman, était ma préférée, sans oublier les socquettes blanches qui étaient toute ma fierté. Ce n’était pourtant pas un signe extérieur de richesse. Ma jeune sœur avait une copie conforme de cet uniforme. Maman aimait bâtir et coudre des vêtements, sur la machine à coudre noire et vernie, à pédale, mais en priorité elle devait participer aux travaux des champs.
Et le mois de mai si attendu est là : le mois de Marie. Qu’ils exhalaient une odeur de fraîcheur ces bouquets de muguets préparés par la voisine, afin d’orner la pièce tenant lieu de chapelle pour la circonstance !
Je participais aux prières et j’attendais que la maîtresse de maison termine d’égrener son chapelet ; les litanies pouvaient être inaudibles, compréhensibles, récitées sur un ton aigu ou bien grave, et ce dans la même soirée. Ce n’était pas ce temps de recueillement qui m’importait mais bien l’heure qui précédait où tous les enfants du village se retrouvaient pour une partie de cache-cache dans les venelles autour des bâtisses. J’aimais aussi la fin de la soirée ; nous attendions que les ouailles se dispersent, ce qui nous permettait de prolonger nos rires et nos jeux à la lueur de la lune.
Ce n’était pas « le club des cinq » mais bien une dizaine de garçons et filles qui gambadaient dans le village. Sur la fosse servant de réserve d’eau pour le bétail, nous avions construit un radeau ; nos parents nous ont sermonnés ; cependant, je garderai seulement en mémoire le piment de cette aventure pétillante.
Trop bien habillés pour les jeux de plein air!
Mes frères et moi adorions monter sur le pailler. C’était certes dangereux …mais le site était merveilleux. Nous dominions le champ vert de topinambours et les vignes qui encerclaient le village. La paille dorée et le foin séché sentaient bon la campagne ; nos cousins demeurant au centre bourg, à environ un kilomètre, venaient partager nos distractions et nos défis. Ils étaient plus téméraires que nous tous réunis ; Ils s’amusaient à sauter du monticule de bottes de paille, haut de trois mètres, voire quatre. À aucun moment, nous n’avons pensé que l’un de nous pourrait se blesser : l’insouciance de la jeunesse très certainement…
La paille, c’est bien mais ça pique ! Je préférais me glisser dans le tas de blé stocké dans la remise au premier étage. La douceur voluptueuse des grains enveloppait tout mon corps, jusqu’au jour où un grain de blé a obstrué mon oreille gauche. La Sœur infirmière de service a su récupérer ce corps étranger, dans son haricot en aluminium très froid, que je serrais contre moi. Depuis cette date, je n’ai plus batifolé dans les réserves du grenier.
Certains jours, je laissais les garçons à leurs occupations pour retrouver mes copines. Jouer à la dînette était notre passe-temps mais pas n’importe où ; Nous avions trouvé refuge dans le creux d’un gros chêne centenaire situé devant la maison. Quel plaisir d’aller réclamer quelques morceaux de sucre pour faire notre petite cuisine au gré de notre imagination !
La nature était notre terrain de jeux, jusqu’à la grosse pierre de granit lisse qui servait de boîte à lettres pour échanger des petits messages avec mon amie du même âge que le mien. Ce petit scénario de gamines avec leur jardin secret nous plaisait beaucoup. Une route seulement séparait nos deux maisons très proches.
L’air de la campagne devait être bénéfique car ma marraine qui résidait en ville venait s’y ressourcer chaque été. Elle nous a vus grandir dans cet environnement.
Puis est arrivée la télévision avec son lot de feuilletons comme « Belle et Sébastien » mais aussi « Thierry la Fronde ». Le bois situé à côté du village nous servait de décor authentique ; nous n’allions pas rater l’occasion de jouer aux petits acteurs, sans oublier les costumes et la fabrication des frondes sous forme de lance-pierres. Une voisine aux longs cheveux blonds jouait à merveille le rôle d’Isabelle et nous étions assez nombreux pour se répartir les rôles de Thierry et ses chevaliers.
La vie à l’intérieur de la maison était autre mais tout aussi charmante ; la table de pin massif et les deux bancs très longs étaient installés au centre de la grande pièce de vie. Une tablée pour accueillir jusqu’à dix personnes. Mon dernier petit frère, né treize ans après moi, est venu rejoindre la famille : mes parents, mes grands-parents, mes trois frères, ma sœur et moi-même. Il était assis dans une chaise haute en bois, placée en coin de table.
La vie était rythmée par le travail des champs, de la ferme, la préparation de la cuisine et le partage des repas. Il ne s’est pas déroulé un dîner sans que papa, nous voyant sur le banc, le dos courbé, ne fasse glisser lentement son index, des cervicales jusqu’au bas des reins. C’était très efficace et nous nous redressions illico presto. Cette petite attention faisait partie de notre éducation.
Le jour des galettes de blé noir était un des meilleurs moments de la semaine ; la famille entière semblait vivre dans l’âtre de la cheminée autour de maman qui avait les joues en feu, en raison du repas prolongé et si près du bois crépitant. L’odeur de la graisse fondante, les galettes nature, garnies de mogettes ou de confiture resteront gravés dans ma mémoire.
Pour nourrir toute la maisonnée, il y avait la traditionnelle cuisine de cochon. La grosse bête rose toute grasse éventrée aux membres écartés, suspendue à l’échelle adossée au mur de l’écurie ainsi que la fressure bouillonnante n’étaient pas mes clichés préférés.
Je préférais voir ma grand-mère napper du chocolat fondu sur la semoule de millet qu’elle venait de préparer ou éplucher les pommes rousses pour une bonne compote maison toute chaude.
Je n’oublierai pas non plus le chahut nocturne de mes frères à l’étage ; papa était pourtant rusé pour se faire obéir ; je ne sais plus si, à l’époque, j’étais indifférente ou si je me réjouissais de les entendre se faire gronder…
La saison des vendanges était attendue et appréciée ; ces journées où nous nous retrouvions une vingtaine de personnes à travailler et surtout à partager le pique-nique du midi. Les mains poisseuses ne nous gênaient pas et le jus du raisin coulant du pressoir était un régal. Je n’ai pas participé aux moissons mais l’ambiance était la même, chaleureuse et festive.
Le noa remplissait les caves bien fournies pour l’hiver ; toutes les occasions étaient bonnes pour interpeller un voisin avant de commencer la traite des vaches : mon grand-père se gratouillait le goitre et tout le monde se comprenait.
Notre maison était pleine de vie chaque soir lors de la vente du lait de vache au détail ; ce défilé permanent ne nous dérangeait aucunement.
Occasionnellement, mes parents acceptaient d’héberger des romanichels dans le hangar jouxtant nos chambres, au cours de leur voyage itinérant ; parfois nous entendions des scènes de dispute. Une nuit, ils se sont battus… La gendarmerie est même intervenue ; mais je garderai juste en souvenir la jeune fille Haïssa avec qui je partageais ma corde à sauter.
Quand le temps le permettait, une grande bassine remplie d’eau était installée à l’extérieur, tout près du seuil.
Mes frères et moi faisions notre grande toilette ainsi, à proximité du banc de pierre et à l’ombre d’une treille de raisin de table sinuant le mur de façade.
Je ne terminerai pas ce tableau sans me remémorer les longues promenades interminables, contournant les hameaux, avec ma sœur dans sa poussette.
Vive le dimanche : jour de repos pour mes parents et sorties familiales au bord de la mer ou escapades au Mont des Alouettes. Que de souvenirs merveilleux !
Entre la messe dominicale du matin, la traite des vaches le soir, le temps est assez long: tous dans l'Aronde, le pique nique dans le coffre, quelle journée!
Robert Doisneau aurait pu immortaliser ces scènes de la vie quotidienne des années 60 sur papier glacé. La seule différence c’est que moi, j’y ai mis des couleurs.
Mijo